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La « Solution » d’Alfred Bruyas

Le mérite revient à Bruyas d’avoir fait entrer le musée dans l’ère moderne. Né en 1821, d’un père banquier, Bruyas montre très tôt des dispositions artistiques et devient, dès sa création en 1845, un des actionnaires les plus actifs de la Société des amis des arts. 

De santé fragile, passionné par les arts, Bruyas visite l’Italie en 1846 puis 1848, et fréquente à Rome le milieu de la villa Médicis où il est accueilli par son ami et compatriote Alexandre Cabanel, prix de Rome en 1845 auquel il commande des tableaux. À son retour à Montpellier, Bruyas s’enthousiasme pour un autre de ses compatriotes, Auguste Glaize, qui peint pour lui des toiles mettant en scène sa vie intime et familiale.

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De plus en plus à l’étroit dans la vie provinciale, en butte à l’incompréhension de sa famille, Bruyas quitte Montpellier au cours de l’année 1849 pour Paris où il séjourne à de multiples reprises jusqu’en 1853. Il se mêle avec passion à la vie artistique de la capitale, partageant son temps entre les musées, le Salon, les boutiques des marchands et les ateliers des artistes.

Il donne libre cours à sa frénésie d’achats de tableaux d’artistes vivants : Diaz de la Peňa, Hervier, Guignet, Millet, Verdier, Rousseau… Surtout, il s’empare coup sur coup de plusieurs chefs-d’œuvre de Delacroix, chef de file des romantiques : l’admirable Femmes d’Alger dans leur intérieur, suivi des Exercices militaires des Marocains et du Michel-Ange dans son atelier.

Au printemps 1853, le maître, intrigué par le physique sensible du Montpelliérain, lui fera l’honneur de réaliser son portrait. Toujours à la recherche de talents nouveaux, Bruyas se tourne vers Octave Tassaert. Dans l’Atelier du peintre, le mécène occupe une position prédominante au centre de la toile et affirme ainsi son rôle essentiel dans le processus d’élaboration de l’œuvre.

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Le séjour parisien de Bruyas coïncide avec les débuts fracassants d’un inconnu originaire de Franche-Comté : Gustave Courbet. La rencontre a lieu au Salon de 1853 : Bruyas se porte acquéreur des Baigneuses, qui viennent de provoquer un scandale par leur naturalisme agressif et d’une seconde toile, elle aussi décriée, La Fileuse endormie. Bruyas teste son nouveau prodige en lui commandant son portrait, dit Tableau-Solution, scellant ainsi entre les deux hommes un pacte d’amitié.

Bruyas regagne le Midi vers la fin de l’été 1853 non sans avoir invité l’artiste à le rejoindre. Courbet arrive en Languedoc en mai 1854 et y demeure jusqu’en septembre. Pendant son séjour, il travaille exclusivement pour Bruyas et réalise plusieurs chefs-d’œuvre : La Rencontre, véritable icône de la modernité et Le Bord de mer à Palavas, qui célèbre sur le mode lyrique la découverte de la Méditerranée.

Pour l’Exposition universelle de 1855, Bruyas prête La Rencontre qui excite la verve des caricaturistes au désespoir de sa famille. Les Baigneuses quant à elles figurent dans l’exposition personnelle montée par Courbet : « DU RÉALISME. G. Courbet ; Exposition de quarante tableaux de ses œuvres ».

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Après les événements de l’année 1855, Bruyas adopte clairement une position de repli causée en grande partie par son état de santé qui s’aggrave. Il songe de plus en plus à imiter ses compatriotes Fabre et Valedau, en offrant son prestigieux cabinet de peinture au musée de sa ville.

Le 14 septembre 1868, il écrit au maire Jules Pagézy : « J’ai le bonheur de posséder divers tableaux des meilleurs peintres contemporains ; et comme j’ai toujours pensé que les œuvres de génie, appartenant à la postérité, doivent sortir du domaine privé pour être livrées à l’admiration publique, je viens aujourd’hui offrir ma galerie à la ville de Montpellier, voulant ainsi concourir, dans la mesure de mes forces, au développement du progrès artistique. »

Le conseil municipal accepte la donation le 22 octobre 1868. Souvent aidé par le critique d’art Théophile Silvestre et le peintre et lithographe Jules Laurens, il s’emploie à combler certaines lacunes en demeurant fidèle à Delacroix et en s’ouvrant à certaines figures historiques du XIXe siècle, Géricault, Delaroche, Ingres, Gérôme. 

Avant de mourir le 1er janvier 1877, il trouve le temps de compléter le don de 1868 par un legs de nouveaux tableaux et dessins afin d’offrir aux visiteurs du musée Fabre une « Étude complète de la Philosophie de l’art de la peinture de notre temps ».